Vincent Hilaire

photo Vincent Hilaire 1(tous droits de reproduction interdits)

Le travail de Vincent Hilaire est l’occasion d’une exposition à Paris au bord de la Seine, au pied du Pont Alexandre III.

En escale à Paris, après une expédition scientifique de deux ans et demi à laquelle il a participé en tant que journaliste de bord sur la goélette TARA, il présente une série de photographies prises d’un pôle à l’autre de notre planète, pour la plupart à la faveur de la nuit polaire.

La particularité de son œuvre s’inscrit dans un au-delà du reportage, elle surprend le visiteur par une mise en acte de l’inspiration au gré de la rencontre avec le réel ouvert à la contingence de l’aventure.

Les photographies présentées au visiteur font évènement, elles témoignent de la nécessité pour l’artiste du XXIe siècle de réinventer l’art en transgressant la frontière qui sépare de la vie et de ses lieux symboliques habituels.

La photographie est un tableau vivant. Une scène se met en place, une histoire se crée, des postures sont retenues et l’objectif immobilise le tout. Le déclic suspend la scène et fait surgir une énigme où la réponse échappe. Si l’artiste peut en parler volontiers, une certaine ambigüité subsiste néanmoins.

Dans chaque photo, il y a une mise en scène appliquée à laquelle l’artiste fait précéder une intention et attention particulière.

L’artiste interroge la répétition prise là comme automaton de la vision prise dans l’épaisseur de la nuit polaire où jour après jour le champ visuel semble se réduire à un cône de visibilité. Puis à la faveur d’un évènement qui fait tuché, les paramètres de la vision se modifient, renouvelant alors l’articulation entre l’objet, la chose et le regard.

Chaque photographie a une valeur démonstrative. Elle déploie donc ses coordonnées dans le champ du visible et à ce titre sa dé-monstration se réduit à une monstration.

Qu’est ce qui est visé ? Qu’est ce qui est adressé à voir chez le spectateur dans ce qui est montré ?

Une photographie dépouillée du regard des sujets photographiés convoque le regard élidé en privilégiant la vision. En focalisant un faisceau de lumière dans une faille de la banquise autour de laquelle deux adultes accompagnés d’un enfant et d’un chien sont montrés au spectateur à partir de l’illusion d’un surplomb, le primat de la vision sur le regard semble ici être le corrélat du primat du silence sur la parole. Il n’y a rien à dire ! La vision du réel est devant le visiteur en convoquant son regard, le laissant sans voix.

L’artiste interroge la schize de l’œil et du regard, en suscitant chez le spectateur « une force émotive » comme la partie invisible d’un mode d’exploration singulier.

Le savoir y faire de l’artiste

Dans la série de photographies présentée il y a un travail rigoureux, précis sur le cadre, la mise en place de l’objet, avec une absence de reflets faisant de l’Arctique par moment un monde sans ombre. L’espace est photographié tel un cadre dé-fini d’où surgit par un jeu subtil du montrer et du cacher, une série d’objets promus à la vision comme venant à la place de la chose en elle-même, mais inhabité de tout objet d’amour ou de désir.

L’artiste poursuit quelque chose de lui-même en fixant sur l’objectif l’espace qui se voudrait mythique en affrontant sous la figure d’un masque vide, la place du nom absent.

Dans notre monde postmoderne, il y a des impératifs convoquant le sujet d’une manière singulière. Le savoir y faire de l’artiste ici est de montrer à quels discours et à quels commandements singuliers ceux-ci donnent dans leur texture, même résonance pour l’être de parole. Si bien que l’idée d’un monde où il fait bon vivre est de ce fait caduque. Vincent Hilaire montre en somme la place qu’occupe l’objet dans le discours de l’hypermodernité devant lequel le sujet parlant est sans recours, pris lui-même dans la série. L’artiste interroge la frontière entre le réel et l’imaginaire, car dans notre monde il y a une multiplicité de discours où le semblant mène le jeu.

En ce sens, il interroge la jouissance des sujets contemporains à partir du semblant dont l’objet a vient occuper la place.

L’étrangeté

Il est vrai que le cadre, la place vide, le surgissement de l’étrange voire ici « d’un bateau fantôme » ne sont pas absents de l’unheimlich freudien. Niant la distance entre sujet et objet, une émotion voire « une inquiétude » suscite comme le souligne Vincent Hilaire « une force émotive ».

Ici l’angoisse est traitée comme telle. Jacques Lacan, dans son enseignement, fait de l’angoisse un affect privilégié qui ne trompe pas. C’est un moment de certitude, signe du réel; qui n’est pas sans objet, au contraire, car elle vise la chose, la jouissance, l’énigme du désir de l’Autre où l’artiste dans sa quête artistique « écorche » comme il le souligne « un bout de réel ».

Cet objet en trop, encadré, surgit à la place d’un vide, sans révéler aucunement le néant; loin d’être la rupture avec la familiarité du monde, l’étrangeté signale une intrusion qui surgit au lieu où elle aurait dû manquer. A ce titre, elle est l’indice d’un reste d’un évènement symbolique.

L’alternance fondamentale

Par la mise en tension que suscite le déploiement de la nuit polaire où la différence entre le jour et la nuit s’émousse, les oppositions signifiantes se réduisent à des variations ténues de la lumière. L’artiste est convoqué aux confins du réel et du symbolique, où le binaire jour/nuit n’opère plus dans sa dimension signifiante laissant le champ à l’imaginaire. L’artiste met en question les incidences de l’imaginaire sur le réel du vivant. Relevant de la fonction fondamentale de l’image du corps dans la constitution du moi, les facteurs imaginaires n’ont d’incidence sur le réel du vivant que pour autant qu’ils sont pris dans des oppositions et des discontinuités signifiantes de pure différence C’est là où l’artiste distingue « la frontière transparente » où dans la phénoménologie de la perception l’absence de lumière solaire modifie les schèmes de représentativité et éprouve les limites du registre symbolique induites par l’alternance fondamentale de la Bejahung freudienne.

Un dé-nouage

Par l’équivoque du langage, la nuit polaire, permet à l’artiste de prendre une certaine distance dans son lien à l’Autre du langage, en faisant « ce voyage un peu spatial ». C’est alors qu’il va pouvoir se tourner vers les autres soit ici représenté par ce qu’il nomme « les taranautes ».

Il offre alors au regard un cadre, soit ici « un huis clos » où le maniement de la technique de la lumière permet un mode singulier de l’éclairage. En effet l’opposition entre le montrer et le cacher renvoie à l’idée que la notion de lumière relève au plus près de la matérialité du signifiant et que la lumière est une modalité de désignation de la chose rendue à son paroxysme par le savoir faire métonymique de l’artiste dans la technique de la prise en noir et blanc.

Jacques Lacan dans son tout dernier enseignement, accentue et valorise cette distinction entre le registre où les différences ne sont que des gradations continues soit le registre de l’imaginaire et celui caractérisé par des éléments dont la nature est de pure différence, où chaque élément ne se définit que de son opposition à tous les autres soit le registre du symbolique.

C’est là où la rencontre du réel repousse la notion de l’alternance temporelle aux confins des limites instituées. Ici dans ce contexte où le jour ne vaut plus par rapport à la nuit ; la distinction signifiée se réduit à « une série de points pris dans un spectre d’un faisceau lumineux ». La faille induite dans le registre symbolique de la coupure signifiante dans le binaire jour/nuit induit pour le sujet un impossible à dire de ce qu’il en est pour lui alors d’être femme ou homme, vivant ou mort.

Chaque être parlant construit sa modalité singulière pour nouer et tenter de nouer une articulation entre le champ du réel, du symbolique et de l’imaginaire à travers les modalités du fantasme, du symptôme, du délire voire de la création artistique.

Les trois dimensions ne sont pas abordées ici dans leurs rapports réciproques sous la dépendance du symbolique, mais sont vues, pour ainsi dire, dans leur indépendance réciproque, chacune jouant sa partie toute seule, sans plus faire système avec les deux autres.

Le corps, par exemple, apparaît disjoint de l’être, qui ne tient qu’au symbolique, au point d’apparaître comme étranger à nous-mêmes. Ce dé-nouage de chaque registre au regard des deux autres répond en même temps à des déplacements de leur définition et marque un décrochage.

Consultable sur le web: www.vincenthilaire.fr

Entretien diffusé sur www.radio-a.com.

Françoise Stark Mornington

Pour Le lisible dans l’illisible, Novembre 2012

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