Camille Leherpeur

LE PALACE, 2015. Ink-jet print on fabric, aluminium, 280 x 200 cm
http://archiraar.com/camille-leherpeur/

L’art de montrer

Camille Leherpeur  interroge le réel de notre hypermodernité comme instant irréductible où nous en sommes de la civilisation. A ce titre, – pour reprendre Freud et Lacan – l’œuvre de l’art  de l’artiste porte un pouvoir d’enseignement sur le réel de la cause.

L’époque désignée – comme étant celle donnée au primat des images – convie le spectateur à poser son regard sur les transformations d’un monde fragmenté où les figures tutélaires de la tradition vacillent.

L’acte de création fait surgir un réel auquel l’œuvre fait réponse. C’est là où l’œuvre d’art fait voir. Mais que veut l’artiste en montrant ce réel à l’œuvre ?

L’acte de présentifier

Sur fond d’un désenchantement du monde où la reproductibilité technique opère un détachement nouveau entre l’acte de l’artiste et l’œuvre, la puissance de l’art  permet au spectateur d’interroger l’expérience du regard. Si la souveraineté de l’image désignée comme capture signifiante où s’amarre la jouissance hors limite, la fonction du masque instanciée par l’artiste, identifie et présentifie l’être au monde pris comme objet du regard de l’autre. Face à la réalité perçue, un sentiment d’étrangeté s’empare du regardeur en faisant surgir l’énigme du désir de l’artiste. Que veut-il que je voie ? Qui me regarde ? Avançant masqué, l’artiste invite le contemplateur à être aux prises avec un regard qui se veut être anonyme.

L’acte de créer

Dans ce flot d’images, qu’il y a-t-il à voir ? Par l’acte de montrer de l’artiste, certaines se concentrent autour de la lettre nouée à l’invention et à la création d’un monde. Autrement dit, l’image se significantise, elle devient signifiant en désignant le primat du dicible sur le visible.

L’image permet – par le savoir-faire de l’artiste – de désigner à travers le voile de la représentation – l’irreprésentable.

L’acte d’inventer

Face à la profusion hors-sens, l’artiste instaure un cadre. Il invite le contemplateur à s’ y arrêter, à s’y pencher comme à une fenêtre ouverte sur le monde. L’offre  promue par l’acte de l’art, n’est-il pas une invitation à changer le regard du spectateur sur le monde ,comme modalité  de traitement autre du réel hors-sens ?

  

Le regard comme acte

Camille Leherpeur désigne l’inéluctable modalité du visible en interrogeant le statut des images de l’art dans un éventail de discours. Notre civilisation dominée par « le faire voir » pousse « au tout voir » et transforme l’image en regard, comme trace d’êtres réels. A cet égard, « l’œil absolu » affleure le discours amoureux en dévoilant l’intime et le secret. Le sexuel réduit à la pornographie, occupe le devant de la scène dans un monde qui n’est plus abrité par les tenants lieu de la tradition.

L’acte de trouer

A l’époque où l’image s’attache au réel, « le pousse au tout regard » de la civilisation exige de l’artiste un acte. En rappelant au spectateur que le regard est noué à un leurre, l’artiste – par son savoir-faire et son désir de montrer, donne à voir l’ œuvre de l’art,  comme autre à ce qu’elle est. Camille Leherpeur – à ce titre – convie le regardeur à être aux prises avec la mise en rupture avec les représentations communes, instanciant ainsi ce qui échappe à l’expérience du regard, en faisant surgir un effet de sens inattendu, voire surprenant.

Traiter le réel

Par l’art du collage, l’artiste donne consistance à une image du monde réel, comme autant de regards fragmentés destinés à rendre visible « l’hypervisibilité » promue  par l’œil panoptique  de la civilisation. L’artiste, à cet égard, par son savoir faire et son savoir dire, se fait passeur – par le mot, l’image et la représentation – de l’illisible venu dans le lisible.

Camille Leherpeur ne veut-il pas montrer au spectateur – pris dans le mouvement de l’hypermodernité qui se veut global, porteur de normes – la fonction de l’artiste comme celle d’être la sentinelle Une, aux prises avec le réel hors-sens ?

 

Françoise Stark Mornington

Pour Le lisible dans l’illisible, juillet 2017